LUNDI 4 MARS

La pluie martèle le port, le vent fait hurler les haubans. Tout le monde reste couché. Il fait 6C°. Je me lève. Impossible de partir en zodiac. Début de mâtinée à trier les photos. Mes camarades se lèvent les uns après les autres. P’tit déj’ sans fin digne des samedis Kergueleniens du L7. Discussion, et repas de midi à 15 heures, au chaud, au calme, alors que dehors la dépression fait rage…

L’anniversaire de Fred est fêté dignement, des bougies du moteur faisant office de bougies d’anniversaire. Le vent se calme et tourne enfin. La pluie se transforme en neige. Après le champagne, sieste. Après la sieste, mise à l’eau vers 17 30. Gilles, Alex, et Laurent me larguent près de la manchotière, toujours dans l’espoir de filmer les manchots. C’est un phoque de Weddell qui me tient compagnie. Mes compagnons partent vers un énorme iceberg. Au bout d’une demi-heure ils reviennent me chercher pour un nouveau spectacle. Je quitte la manchotière bredouille, mais le nouveau tableau est époustouflant. La lune bleue, un autre monde. Nous sommes rejoins par Fred et Pierre, partis faire de l’eau avec l’autre zodiac. Séance de statique improvisée dans la piscine bleue du mastodonte. Sur le retour nous croisons une dizaine de léopards disséminés sur les glaçons. 20h30 à bord. La faim nous tiraille. La fatigue nous rattrape.

Franck

HOOVEGARD

Dimanche 3 Mars

Le coup de vent annoncé approche. Je pars de bon matin faire une collecte de plancton, en zodiac. Ballade en solo, le chalut à la main, les icebergs plein les yeux… une partie de l’équipage part faire de l’eau aux abords d’une cascade proche. En rentrant, je vais sur le rivage collecter du plancton des glaces, qui vit sur…la glace.

Cela fait 36 heures qu’il pleut. La dépression prend son temps pour passer et nous arrose copieusement. En fin d’après midi, nous allons à l’eau, malgré les conditions. Direction la manchotière. Je cherche toujours un plan de manchots qui marsouinent.

Sur un glaçon nous trouvons un léopard au repos et un autre qui tourne autour. Nous sommes quatre à l’eau. Apnée, agachon, nous l’intriguons. De plus en plus docile, il fait du statique en pleine eau, puis s’approche. Laurent se pose au fond, il vient à lui. Parfaite communion entre l’apnéiste et l’animal, avec comme décor une arche de glace à 8m, base de l’iceberg. En retrait je filme l’instant. En surface, le vent nous refroidit très vite. Je reste encore un peu à l’eau. Le léopard vient vers moi dans le courant qui me porte vers lui…Il m’évite et revient, et à tour de rôle on se retrouve au jus dans une farandole…

Toujours pas de plan de manchots… La nuit nous cingle au retour et ne cesse de la soirée, accompagnée de rafales. Nous dormons la nuit, et rêvons le jour.

L'ÉVOLUTION DE L'HOMME

Franck

SAMEDI 2 MARS

3H00 du matin : le vent fort pousse les glaçons contre la coque. Il faut les repousser avec l’annexe, au moteur. 3h de combat contre les éléments. La nuit est courte pour l’équipage.

Le jour se lève, le vent se couche. Nous partons en ballade sur les hauts de Port Charcot, vers le Cairn. Le point de vue est exceptionnel, encore une fois, embrassant le cimetière d’iceberg et l’archipel à 360°. A la redescende nous découvrons la lettre « F » dans la pierre. « F » ni pour Fred, ni pour Franck mais pour le « Français » nom du bateau du Commandant Charcot lots de son expédition. Cette marque servait de marégraphe. Quelques notes d’accordéon nous parviennent de l’Ile d’Elle. Jean Yves en répétition pour un concert Antarctique?

En début d’après midi nous appareillons pour Hoovegard, point sud de notre périple. La route nous fait passer au travers du cimetière d’Iceberg. Mise à l’eau avec les léopards de Mer. Un nouvel instant où les superlatifs sont restrictifs… Il y a une réelle interaction entre l’homme et l’animal…Un jeu… Une danse sans contact, juste un charme… L’animal nous charme, nous teste sans agressivité…
Nous repartons. Un transit au milieu de cathédrales de glaces vers notre mouillage… Un ketch est déjà là.

Franck

Direction Port Charcot

Vendredi 1er Mars

Nous Appareillons de bon matin. Dans le canal Pelletier, à 10m du bord, 100m de fond. Une envie de me mettre à l’eau, mais le temps commence à être compté. Le soleil pointe, la Mer forcit…Nous mouillons au pied du Cairn en 5 points.

Un léopard montre son museau, Laurent se met à l’eau suivi d’Alex et Fred. Séance de charme. Cet animal ne cesse de nous surprendre par sa douceur. Pendant ce temps, je vais à terre reconnaitre les lieux.

Vers Charcot Sud, après la manchotière, la vue sur le cimetière d’iceberg est splendide… L’effet lagune, peu de fond, empêche les blocs de la machine à glace côtière de s’en aller. Ce port d’attache à glaçons dépasse toute beauté connue… Retour à bord. La première équipe est à bord avec un stock d’émotions, d’images au contact de ce prédateur aujourd’hui docile. Je pars à l’eau tardivement, espérant faire un plan du retour des manchots… Toujours pas. Krill, Iceberg égrènent ma sortie. À l’instant où je rentre, nos voisins de mouillage viennent pour un apér’austral…

Franck

JEUDI 28 FEVRIER

Petit déjeuner. Débat. Je lis un passage de ce que j’ai écris sur la rencontre avec la léopard des Mers. Je l’ai vu douce, et ne veux pas la stigmatiser dans son rôle de prédateur. Trop protecteur, peut être, mais ayant grandit dans la psychose instaurée par les dents de la Mer. Gilles n’est pas d’accord. On doit montrer l’animal tel qu’il est et ne pas occulter le fait qu’elle soit un prédateur du haut de la chaine et potentiellement dangereux pour le quidam qui ne fait pas attention.

L’entêtement du Gascon face au caractère fermé du Breton ne font pas avancer la discussion. Pierre et une énigme détourne l’attention, la tension… Après l’énigme résolue, le compromis…
« Le léopard est un prédateur qui peut être féroce dans le monde animal, dangereux pour les plongeurs (mais nous sommes apnéistes). Cette femelle nous a montré la beauté dans sa danse, de la douceur, puis nous a testés et prouvés qu’elle était le boss… »

Dernier jour aux abords de la base « A ». La dépression est passée. Nous profitons de cette fin d’après midi pour nous mettre à l’eau. Un rorqual de Minke vient à notre rencontre mais reste en limite de visibilité. Celle ci n’est que de 1m, à 1,5m. Quelques descentes dans le froid, sans animaux. Apnée pure autour d’iceberg…

Sur le retour nous nous arrêtons pour saluer « le gourou » en escale, Jérôme Poncet, héros du « Damien » et référence en Antarctique, à l’accueil chaleureux.

Tout le monde rentre à bord, je reste au bord, près des papous. La visibilité n’est pas là, amoindrie par l’eau qui se cristallise, prête à geler. Environ – 2°C. Je suis surpris par un phoque de Weddell qui vient se renseigner sur cette curiosité palmée qui stationne sur ses Mers. Retour transit de froid, comme d’habitude.
Longue soirée, ambiance cabane Kerguelienne… Pour les hivernants avertis…

Franck

MERCREDI 27 FEVRIER

Petit tour de repérage dans la baie en zodiac. Nous apercevons une femelle léopard. Je suis fasciné par la douceur de ses arabesques. Premier contact agréable avec ce prédateur du haut de la chaîne alimentaire locale. Nous faisons une escale à la base, pour visiter le musée et faire quelques emplettes. Découverte de la vie des premiers hivernants au sein du musée, et l’envoi de cartes postales fait, nous rentrons à bord.

Dans l’après midi, Laurent et Alex se mettent à l’eau avec la femelle. Gilles et Pierre assurent la surveillance en surface. Après quelques circonvolutions timides, elle se rapproche animée par la même curiosité que les apnéistes. De plus en plus enhardie, elle vient toucher les apnéistes, par test, montrant ses dents à l’objectif, lâchant quelques bulles… Gilles demande aux apnéistes de remonter sur le zodiac, ravis par ce contact, frissonnant de froid…de crainte?

L’équipe rentre. Je souhaite faire un tour à terre. Laurent m’accompagne à peine douché. Sitôt l’annexe à l’eau, la belle est là. Pas de tour à terre, nous restons à son contact. Je la trouve toujours aussi douce. Il faut quelques claques sur le boudin du zod’ pour éviter qu’elle ne s’aiguise les dents dessus. Nous la suivons. Elle sonde, puis nous suit. Elle attrape un goéland, joue avec, puis le noie. Le pousse-t-elle vers nous? Est ce un présent? Elle repart et disparait, laissant l’oiseau derrière elle.

Au milieu de cette petite baie, moteur coupé, nous rêvons éveillés. La neige tombe, les glaciers craquent et s’effondrent, dans un vacarme assourdissant se répercutant de falaises en falaises. C’est un autre monde. Un tableau exceptionnel, une œuvre d’art. Elle ne doit pas rester dans une collection privée, mais au musée, à la vue de tous. Comment partager ? Amener les foules sans impacter sur cet Eden ? Une vidéo, une photo ne transmet jamais l’émotionnel vécu. Nous pouvons être des rapporteurs d’images et narrateurs d’émotions, pour une prise de conscience collective de la beauté à préserver dans notre monde.

482392_147722818723368_819163107_n

MARDI 26 FEVRIER

Nous quittons Melchior et naviguons à travers le Brash, le Bourguignon en français, la glace à la dérive produite par la fonte des glaciers. Prochaine escale, Port Lockroy. Une baie protégée par le Mont Français, point culminant de la péninsule Antarctique, 2800 m. Au centre de la baie, une paire d’îlots et dessus la première base Anglaise de la région, la base « A » de Port Lockroy. Fondée à l’origine pour surveiller d’éventuels mouvements de navires allemands durant la seconde guerre mondiale. Abandonnée, elle est aujourd’hui réhabilitée et habitée 4 mois d’été par des Écovolontaires qui accueillent les visiteurs de passage dans leur petit commerce dont les revenus servent à financer les rénovations des bases Antarctiques abandonnées.

LUNDI 25 FÉVRIER

Je me lève avant tout le monde et sors sur le pont. Contemplatif du monde qui m’entoure. Les glaciers craquent. Le grondement sourd rebondit de falaises en falaises… Un à un mes compagnons émergent et montent sur le pont. Porridge compact au petit déjeuner. Podorange nous quitte et retourne vers l’Amérique du Sud.

Pas de mise à l’eau ce matin. Nous allons randonner sur les hauteurs des glaciers environnants notre mouillage. Panoramas exceptionnels (encore). Les superlatifs nous manquent. Nous nous posons au sommet. Pas de vent, pas de mot. Contemplation. Le retour en glissade, sans luge, sur les pentes poudrées. Un stop pour prélever le plancton des glaces à flanc de colline. Retour à bord.

13h00. Décision collégiale de « sauter » le repas de midi, pour profiter au maximum de la lumière lors de la mise à l’eau. A la sortie du mouillage, nous observons une mère et son petit en pleine séance d’apprentissage. Un binôme à l’eau, à l’écart du cours maternel. Quelques apnées et images plus tard, nous reprenons la route vers la baie de Brabant, à quelques milles de là. A quelques encablures du voilier, un Mégaptère, une baleine à bosse, juvénile, fraichement sortie du joug maternel, se nourrit du Krill, abondant. Un autre binôme à l’eau. Timidement elle se rapproche, et prenant de l’assurance vient à notre contact. Deux de farandoles et de danses autour de nous, nous frôlant de nageoires. Elle vient à nous, joue autour et avec nous. L’élégance de sa danse nous subjugue, et laisse au second plan la Mer à O°, les doigts gelés, les pieds endoloris… Le froid n’existe plus. Nous goutons chaque instant de ce privilège qu’Elle nous offre. Une otarie vient participer à la fête et mêle ses arabesques aux nôtres moins gracieuses dans ce tableau aquatique.

baleine-antarctique

Nous remontons à bord et regagnons un mouillage sûr pour la nuit. Le repas de midi à lieu à 18h00…Fatigués, mais toujours bien éveillés par l’excitation de cette rencontre. Tout le matériel sèche sur la bôme et les haubans. Avant que le soleil ne se couche, nous partons à 4 faire le plein des jerricans d’eau douce, le long des glaciers fondant. La nuit tombe. Une partie de carte, des photos à traiter, tout le monde s’occupe jusqu’au repas du soir.

22h00 attablés autour d’une soupe arabe, nous prolongeons la soirée, heureux d’être sur le continent blanc…

Franck

DIMANCHE 24 FÉVRIER

Il y a une semaine nous arrivions à Ushuaia.

Ce matin, Gilles nous réveille :  » il fait grand soleil et on voit l’Antarctique !! ». Nous y sommes enfin. Les baleines nous accueillent. Un banc d’une douzaine de mégaptères mange devant nous. Soleil éblouissant, montagnes immaculées. Tableau irréel. Elles se laissent observer deux petites heures et puis s’en vont.

Nous nous dirigeons vers un abri entre les îles aux falaises escarpées de l’archipel Melchior. Au détour d’une île, nous découvrons le voilier « Podorange » au mouillage. Nous nous mettons à couple. Retrouvailles. La famille des skippers de l’Antarctique est petite. Echanges sur la navigation, les animaux vus dernièrement. Enthousiasme, excitation, nous préparons notre matériel pour une première ballade aquatique après le repas de midi.

Nous partons avec Brice, le skipper de Podorange, pour rejoindre les baleines à 40 minutes de navigation. Elles sont là par petits groupes…
Premier contact visuel sous marin avec une mère et deux petits… elles s’approchent aussi curieuses que nous…exceptionnel? Irréel? Nous sommes au milieu de l’Antarctique, 200m de fond ou plus (le sondeur décroche), la Mer est entre 0° et 1°C, et pourtant aucune trace d’hostilité quelconque, de crainte, dans ce monde inapproprié aux humains. Alors oui ! Irréel!!
Elles nous acceptent, nous laissent rêver, et puis s’en vont. Retour vers l’Île d’Elle.

Une journée sur la péninsule, et déjà une multitude d’images, d’émotions en tête… Sur le chemin Laurent met le filet à plancton à l’eau. Il traitera la récolte en arrivant à bord.
Premier déshabillage dans le froid polaire, mais malgré le vent, l’adrénaline nous tient chaud. Après la douche, dont le volume tient dans une demi bassine d’eau, nous rejoignons nos voisins de Podorange pour une soirée d’escale, pas trop arrosée… il faut tenir physiquement sur la longueur de ce voyage… Se reposer pour perdurer.

Jean-Yves, notre skipper, cuistot, nous concocte un de ses excellents repas riche en calories, que nous mangeons sans scrupules d’attentat à notre « courbe athlétique » ! Les calories se gagnent et se perdent immédiatement dans la fraîcheur de l’eau. La fatigue nous gagne… La nuit tombe. Alex traite ses images dont un exemplaire illustre ce message.

Franck

Un Drake bleu pour l’Ame Bleue

Après nous avoir secoué à l’entrée du passage, histoire de montrer qui est le patron, le Drake et ses houles croisées de l’Antarctique nous bercent sur une Mer paisible.

Encalaminée, poussée par une très légère brise, laissant les voiles au repos, la moitié de l’équipage se remet des affres du mal de mer, oscillant entre le pont, le carré, et la bannette. Deux jours que nous avons quitté Port William, la mer de plus en plus paisible, le froid de plus en plus vif, nous approchons du Sud sous un soleil radieux, accompagné par les grands albatros, albatros à sourcils noirs, damier du cap, pétrel tempête et pétrel plongeur…

Cette nuit nous avons observé les premières effervescences de plancton le long du bord, et nous allons tenter dans la journée un premier prélèvement, un galop d’essai avant la péninsule. Au petit matin les dauphins de la baie de Nasseau sont venus jouer avec l’étrave du voilier, envoyés par Neptune le bienfaisant, nous montrer la voie de notre rêve blanc…

equipage_ame_bleue-pont