MARDI 5 MARS

Il pleut depuis 24h ….
L’eau est en moyenne entre -2 degrés et 0°  .
Les plongées répétées nous marquent le visage.

Ce matin, nous sommes allés chercher de l’eau douce puis nous avons découvert une manchotière peuplée de jeunes individus perdant leur pelage de juvénile. En face, sur les icebergs attendent patiemment les phoques léopards pour les dévorer.

Nous décidons l’après-midi de nous immerger à cet endroit même. Le terrain est propice aux attaques de léopards, cela peut être l’occasion d’assister à des scènes exceptionnelles.
Du voilier, nous enfilons nos combinaisons avec une marmite d’eau chaude et nous voguons à bord de notre embarcation à moteur vers une rencontre surréaliste…
Franck est le premier à se mettre à l’eau. Il veut faire des images de manchot entrain de marsouiner, car nous n’en avons pas pour le moment.

Devant nous, des icebergs, des châteaux blancs se dressent. Ils ont la forme de notre imagination, tantôt des trimarans de courses, tantôt des habitations futuristes …
Sur la droite une montagne de plus de 2000m de haut cohabite avec des glaciers qui viennent mourir en mer.
Une falaise noire, juste à côté crie haut et fort toute sa verticalité, plongeant à je ne sais quelle profondeur dans les abysses de l’antarctique.
De temps à autre un craquement, un grondement retentit ! Ce bruit terrible se diffuse dans mon corps et mon esprit, j’ai l’impression de capter l’intensité, la force de cet environnement brut, énergisant.

Gilles et Alex se mettent à l’eau dans cette baignoire gelée. Ils ont repéré un phoque léopard qui lézarde au soleil! Plutôt sur la glace avec ce vent qui te glace les os.
Je reste au bord avec Pierre. Nous discutons entourés de ces jeunes manchots. Je garde des séquelles, le froid et la fatigue, des deux plongées de la veille et fait quelques pompes pour me réchauffer. (Et puis faut garder la santé!!!)
Je me décide. Nous n’avons qu’une vie, l’eau me gèle le visage, le choc thermique est violent.

-2 degrés. C’est la première fois que je subis autant les effets du froid …
Tous, nous nous dirigeons vers l’iceberg qui est le refuge éphémère de ce phoque léopard.
Sur la parois de ce monument, du krill, entouré de petites bulles, élabore sa chorégraphie, sa danse sur la glace. Je me crois à Holiday on Ice, spectateur de cette crevette rose qui valse dans ce verre de curaçao pétillant….
Ce spectacle m’invite à continuer cette exploration, c’est à nous de faire les canards pour découvrir la fondation de cette arche de Noé, version l’âge de glace hypoxique.
Dessous s’élève justement une arche de plus de 5m de haut sous 15m de fond !

Franck, Gilles, Alex et moi avons trouvé notre nouvelle occupation en passant sous cette architecture spectaculaire. Ensuite Gilles et Alex s’assoient un moment sur l’iceberg et m’informent que la « lionne » vient de se jeter à l’eau.

 dauphin_antarctique

Nous décidons avec Alex d’établir le contact.
Franck et Gilles nous rejoignent très vite.
La communication s’établit sous différentes formes: tout d’abord l’observation. L’animal lit notre langage corporel pour savoir à qui elle a affaire. Voyant nos capacités d’immersion médiocres et notre vitesse de déplacement comparable à celle de l’escargot, cette femelle doit bien rigoler dans ses moustaches. Le regard est aussi très important: calme, tranquille, pacifique. Toutes ces impressions se retransmettent dans son attitude par des déplacements très lents et très calculés pour ne pas nous toucher et respecter une distance qui diminue au fur et à mesure des immersions.
Calé au fond sous l’arche, immobile, elle plane, vole, virevolte devant moi puis vient doucement à ma rencontre. Ses nageoires lui servent de pivot puis de frein et nous nous regardons de longues secondes……. Cette contemplation hors du temps, pacifique, bouleversante avec cet animal sauvage de plus de 2m50 de long et d’environ 250 kg, qui peut à n’importe quel moment décider d’une fin tragique en t’emmenant au fond ou en te déchirant avec ses dents acérées de 2cm, montre et prouve bien que le règne animal est parfaitement conscient des attentions que nous lui portons…

Laurent