1er mars : « l’Antarctique, quel choc ! »

64°32′ S 61°59′ W

Je m’étais pourtant bien documenté, consulté les cartes, visionné les photos …
Mais j’étais à mille miles d’un début de prise de conscience des mesures hors norme que nous rencontrons.
Je suis parti avec mes propres références ; les côtes et les îles bretonnes, la plaisance côtière, un correct sens de l’orientation, un peu de montagne, une bonne connaissance de la vie aquatique locale …
Et ici en Antarctique c’est le choc ! Je dois revoir toutes mes références !

le choc antarctique
Commençons par la descente depuis Ushuaïa vers le cap Horn. Il nous a fallu une journée entière de navigation, alors que sur la carte ça parait tellement rapproché…
Et le Drake ! Pas si difficile me suis-je dit, ça parait pas si long … 500 miles quand même ! Je peux maintenant le dire : tant qu’on ne l’a pas vécu personnellement, on ne peut pas vraiment imaginer ce que c’est ! Plusieurs jours 24h/24 le bateau avance inexorablement bercé et parfois bousculé dans des creux de 3 à 4m et des vents « modérés » de 25 à 40 nœuds, pourtant portants… La vie à bord doit quand même se faire; quarts, repos, repas, météo, position, quarts, radar, repos, repas, météo, position … Quelle expérience inoubliable ! Le retour s’annonce plus difficile encore avec des vents souvent contraires …

Mon sens de l’orientation aussi en a pris un grand coup … On a beau le savoir qu’on est dans l’hémisphère Sud, mais quand depuis toujours vous vous basez sur la position du soleil au sud, et que du jour au lendemain pour descendre au Sud on doit ici avoir le soleil dans le dos, croyez moi, la transition n’est pas immédiate à intégrer ! Et pour compléter ma déstabilisation, je dois assimiler que les dépressions et anticyclones tournent dans le sens inverse de l’hémisphère nord ! pas immédiate non plus cette adaptation …

Mais ceci n’est rien comparé au choc suivant !
La carte marine désigne bien un petit ilot (Melchior) entre 2 îles plus grandes (Braband et Anvers). Mais lorsque nous pouvons enfin voir ces côtes au travers des nuages, ce sont des montagnes gigantesques qui nous entourent et qui s’étendent à perte de vue ! Ce ne sont que les prémisses de l’Antarctique. C’est seulement à ce moment que je me rends compte de la formidable échelle de cette terre. Ces ilots de la péninsule ne sont que les prémisses de l’Antarctique. Je dois absolument revoir ma petite échelle géographique … Je dois voir grand, beaucoup plus grand ! Bien au delà de la taille d’une région ou d’un pays … ne vous y trompez pas, nous touchons ici un continent ! Un continent aussi grand que l’Europe entière. Nous ne faisons que l’effleurer …

Et ce n’est pas fini !
J’adore la mer, ses côtes, ses mouvements et ses changements incessants d’une beauté toujours renouvelée. J’adore la montagne, ses valons et ses sommets enneigés et ses paysages somptueux. Mais jusque là il m’était inconcevable d’associer ces 2 éléments dans un même endroit !
Imaginez ! d’immenses parois de rocs tenaillés de glaces et de neiges qui jaillissent hors de l’horizontalité du niveau de la mer …
Ajoutez y un peu partout ces glaciers sans fin qui vomissent leurs icebergs en perpétuel mouvement aux circonvolutions improbables et aux formidables variations de couleurs sans cesse renouvelés. Pourtant c’est bien en mer que nous sommes !
Pour compléter ce tableau visuel, il faut rajouter quelques détonations tonitruantes qui me font sursauter … ce sont des blocs et des pans entiers qui cèdent à la montagne pour dégringoler la pente et se fracasser dans la mer.  Encore un choc !
Me voilà à nouveau déstabilisé de mes références ancrées de longue date par l’infinie richesse de ce mélange de décors.

Passons maintenant au choc suivant …
Même si parfois nous avons la chance de bénéficier d’un grand ciel dégagé, d’un soleil éclatant sur les sommets et sur les glaces étincelantes, la météo peut changer très rapidement. Les dépressions s’enchainent les unes derrière les autres à un rythme qui ridiculise nos 9 tempêtes successives bretonnes. La météo peut changer d’heure en heure. Nous subissons des brouillards qui apparaissent et disparaissent ou des vents changeants qui finissent par nous transpercer nos habits high-tech.
Les eaux ne sont pas plus accueillantes… Une température qui ne dépasse pas 2°, des cathédrales de glace qui dérivent inexorablement défiant les quelques voiles intrépides qui osent s’aventurer jusque là. Réjouissons nous, c’est l’été !

Je ne saurais finir ce petit tour d’horizon austral sans parler de l’extraordinaire vie animale qui s’est si formidablement bien adaptée à l’inhospitalité de ces lieux  !
Les animaux vivent et prospèrent partout où nous passons. Mais comment font-ils tous pour survivre à ce climat intenable pour les humains ?
Nous croisons otaries, phoques, baleines et manchots qui évoluent avec grâce et légèreté dans ces eaux et ce climat qui nous sont hostiles.
Tant d’aisance, d’aquaticité et de nonchalance a de quoi forcer l’admiration des apprentis apnéistes maladroits que nous sommes.
J’avais pourtant imaginé ces rencontres de nombreuses fois, mais j’étais très loin d’imaginer l’extraordinaire impact émotionnel que ces rencontres privilégiées pouvait procurer ! Un intense échange visuel et gestuel s’installe entre l’apnéiste et l’animal.
Encore une belle claque !

Toutes ces découvertes ont ébranlé ma perception de ce nouveau monde. Je dois m’attendre à d’autres chocs encore … Je ne sortirai pas indemne de cette aventure !

L’Antarctique, quel choc !

Tangui